Rien n'est plus tenace, plus indestructible, que les traditions, surtout les pires.
Le cas russe en est un exemple parfait.
Le pouvoir tsariste fut une espèce d'autocratie archaïque dominant une économie de rente au service d'une féodalité. Au bas de l'échelle, la paysannerie misérable et inculte était
doublement asservie par une noblesse brutale et un clergé obscurantiste.
La Révolution d'Octobre survint comme un coup de tonnerre, obligeant les marxistes orthodoxes à négocier un virage sur l'aile. Ils attendaient la révolution dans les sociétés industrielles
d'Allemagne ou de Grande Bretagne et elle survenait comme un hasard bienheureux dans une Russie arriérée où la classe ouvrière était quantité négligeable.
On bricola les textes fondateurs et l'improbable révolution soviétique fut érigée en référence absolue du communisme international. Le peuple russe ne découvrit pas la liberté, il changea
de maître et trouva en Lénine ou Staline la réincarnation des anciens tsars.
Ce régime n'étant pas plus inoxydable que tous les autres, il a fini par céder la place à une espèce de couple maudit : l'autoritarisme d'état associé au capitalisme le plus sauvage.
Ce grand pays a connu des bouleversements, brûlé un jour ce qu'il avait adoré la veille.
Au cours de ce chambardement, se sont maintenus intacts quelques restes de la vieille Russie : des souvenirs, icônes et poupées russes, qu'on peut ne pas aimer (des goûts et des couleurs ...) mais qui ne font de mal à personne.
Une autre survivance ne participe pas d'un folklore inoffensif mais d'un fléau, c'est le célèbre "ventre toujours fécond de la bête immonde", l'antisémitisme, le même qui éclatait dans les pogroms d'autrefois ; il est seulement plus administratif, plus hypocrite, il ne se proclame pas mais il est toujours en embuscade pour mordre et tuer.
Grâce à lui, Mikhaïl Khodorkovski en reprend pour 14 ans de camp en Sibérie.
Évidemment, ses juges ne sont pas assez bêtes pour mentionner dans leur jugement le crime de judéité. Les grandes catastrophes du vingtième siècle leur ont appris qu'il y a des risques à faire usage de certains arguments.
Officiellement, il est condamné pour avoir un peu (et même beaucoup) confondu la caisse de son entreprise et la sienne propre, un délit très, très, ordinaire, généralement baptisé
"abus de biens sociaux".
C'était au bon vieux temps d'Eltsine et du fric décomplexé ; tous les oligarques qui n'étaient pas idiots en faisaient autant. Si tous avaient connu la même répression, il n'y aurait
plus de place dans les camps sibériens et la Côte d'Azur n'aurait pas connu les beaux investissements de la mafia (pardon, de la finance) russe. Ceux qui sont restés à leur place (comprendre :
partager avec les hommes au pouvoir et, surtout, ne pas se mêler de politique), ceux-là coulent des jours prospères.
Khodorkovski a eu le mauvais goût de ne pas manger de ce pain-là et de le faire savoir. L'argent détourné devait même financer un parti d'opposition.
De la délinquance financière, on passe au combat politique. Le coupable se présente en héraut de la Liberté, il revendique au nom de la Russie écrasée le plein exercice des Droits de l'Homme. Et
ça ne fait pas du tout rire les Poutine et Medvedev menacés.
Une chance pour eux : ce trublion est juif et les Russes détestent les juifs.
On va le traiter plus mal que tous les accusés ordinaires, cracher sur la séparation des pouvoirs en dictant aux juges ce qu'ils doivent décider ("la place des voleurs est en prison").
Pas de souci à se faire, à part des étrangers qui ne changeront rien à la vie russe, personne ne prendra la défense du juif. On peut l'écraser, avec les applaudissements du public.
Les faits sont accablants mais, l'opinion étant ce qu'elle est, pouvait-il en aller autrement ?
Dans cette triste affaire, il est un autre motif d'indignation : le silence assourdissant des habituels abonnés de la protestation. Nous sommes en face d'un exemple flagrant
d'antisémitisme et les militants ne bougent pas. Pourquoi ?
La réponse est hélas ridicule et mesquine.
L'argent est le plus sale des crimes. On ne prend pas le risque de soutenir un juif soupçonné de délits financiers. On a peur de fournir des arguments aux antisémites toujours prêts à lier le juif et l'argent. La réaction qu'il aurait fallu est exactement le contraire : tous les individus soupçonnés d'un délit doivent être jugés équitablement, uniquement pour ce qu'ils ont fait sans tenir compte de leurs opinions politiques, religieuses ou philosophiques. C'est le B.A.Ba des droits de l'homme et il est épouvantable d'être encore obligé de le rappeler.
Jacques 02/02/2011 16:29
Tipanda 02/02/2011 22:08
Weinheber 02/01/2011 10:46
Tipanda 02/01/2011 11:33