Vous avez découvert Shoah de Claude Lanzmann à sa sortie en 1985, ou plus tard, lors d'une rediffusion. Vous en êtes sorti abasourdi et hagard, vous aviez pris un grand coup dans la tête, et, depuis ce jour mémorable, vous savez qu'il y a un avant et un après Shoah. Plus de neuf heures de témoignages pour dire l'indicible, ce film a une telle force qu'il a nommé les événements, on ne dit plus "l'extermination des juifs par les nazis" mais "la shoah". Lanzmann est au cinéma ce que Raul Hilberg, l'auteur de "La destruction des juifs d'Europe", représente pour le texte.
Vous n'étiez pas loin de croire que Shoah avait tout dit mais Claude Lanzmann gardait inexploitées de précieuses réserves. Au long des années précédant Shoah, il avait accumulé des heures de témoignages qui ne figurent pas tous dans Shoah, non parce qu'ils auraient manqué d'intérêt mais parce qu'ils formaient, à eux seuls, le sujet d'un film.
En 1997, ce fut "Un vivant qui passe", chronique de la cécité estampillée Croix Rouge
En 2001, "Sobibor, 14 octobre 1943, 16 heures", l'épopée de Yehuda Lerner et des révoltés de Sobibor. Après Shoah-la catastrophe, l'heure de
grâce. Des juifs promis à la mort tuent leurs geoliers, s'échappent d'un centre d'extermination, rejoignent la Palestine et se battent pour fonder l'état d'Israël.
Enfin, mais ce n'est peut-être pas fini, " le dernier des injustes " présenté en mai 2013 au festival de Cannes, sort en salles cet automne. C'est l'histoire du rabbin Benjamin Murmelstein, le dernier président du Conseil Juif du ghetto de Theresienstadt. véritable décor de théâtre destiné à donner le change aux rares curieux, présenter un « ghetto modèle », une farce programmée pour finir dans les crématoires d'Auschwitz. Il fut le seul "doyen des Juifs à n’avoir pas été tué durant la guerre. Il s'est battu pied à pied avec Eichmann pour éviter la liquidation du ghetto, réussissant à faire émigrer 121.000 juifs. Ce dernier film dévoile sans fard les contradictions sauvages des Conseils Juifs.
Claude Lanzmann est un vieux monsieur chargé d'honneurs et de notoriété, vous pensez qu'il ne doit rencontrer aucune difficulté pour diffuser son film ... et vous avez tort.
Parlons de ce qui m'est facile à vérifier. Dans tout le département du Nord, "Le dernier des injustes" n'est visible que dans une seule salle classée "Art et essai" à Lille pendant moins d'une semaine.
( de Claudine LANOE Aujourd’hui à 10h36 AM :
Et tu peux ajouter :à un horaire unique , 19 h ).
Que font ces multiplexes qu'on nous a vendus comme une garantie de multiplicité dans la programmation ? Ils ne seraient pas capables de dégager une toute petite salle, quelques jours, pour une œuvre majeure ?
Il paraît que non, Lanzmann ne remplirait pas les salles. Les diffuseurs industriels ne veulent pas courir ce risque. Ils préfèrent rallonger le temps de passage de quelques navets commerciaux.
Ils sont là pour faire de l'argent, pas de la pédagogie.
Quand les lycéens étudiaient encore l'histoire, il était possible de circonvenir des commerçants en leur représentant le défilé des groupes scolaires qui allaient se précipiter chez eux. Aujourd'hui, l'histoire et la mémoire n'ont plus de public, rien ne semble pouvoir lutter contre l'appat du gain.
C'est triste mais, à l'approche des élections municipales, nous pouvons en tirer une leçon : il ne faut pas laisser réduire la culture à l'industrie du spectacle.
Un service public de la culture est une nécessité