Une spécialité française : l'enthousiasme commémoratif.
La mort d'Aimé Césaire vient d'en être une nouvelle occasion.
Comme on a des doutes sur la capacité des Français à faire la part des choses, on a eu droit à tout un panygérique, rien que des compliments : le grand écrivain, le poète, le "chantre de la
négritude". On a même entendu évoquer une perspective de panthéonisation, en oubliant au passage que la famille ne voulait pas en entendre parler. Miraculeusement, les aspects moins glorieux du
défunt sont passé sà la trappe ; personne ne s'est avisé de rappeler les pressions les plus énergiques dont il avait fallu user pour l'empêcher de briguer un ridicule nième mandat de maire.
Le président de la République, obéissant à on-ne-sait-quel-calcul, a fait le déplacement des funérailles.
Bon, c'est le grand homme du moment, on espère que sa mémoire perdurera.
Il est des gens qui n'ont pas de chance à la naissance mais la situation peut se modifier au cours de leur vie.
Une autre malchance est plus incurable ; c'est de mourir au mauvais moment, en concurrence avec un autre défunt qui vous prend la vedette.
C'est ce qui vient d'arriver à Germaine Tillion. Morte à 101 ans, sa vie a été en tous points remarquable : fondatrice de l'ethnologie française, elle a été non seulement la
spécialiste mais la grande amie des paysans des Aures. Très logiquement, elle s'est montrée une adversaire de la colonisation.
Bien avant la guerre d'Algérie, elle s'était battue pour la liberté. Membre fondateur du réseau du Musée de l'Homme, elle a été déportée à Ravensbrück. Cette épreuve ne l'a pas abattue, au
contraire ; elle en a "profité"(!) pour mener une étude sociologique du camp tout en écrivant des spectacles destinés à soutenir le moral de ses compagnes. Jusqu'à sa mort, elle est
restée une grande amie de la liberté ; à son grand âge, elle faisait partie d'une association de soutien aux sans-papiers.
On ne saura jamais pourquoi la notoriété privilégie une mort plutôt qu'une autre, Césaire plutôt que Tillion. On ne peut que faire des suppositions plus ou moins "charitables" pour expliquer les
attitudes.
On se console en pensant que l'histoire rendra justice, qu'elle sera plus équitable que la mémoire immédiate et sa mauvaise conscience sélective
Personne ne propose de panthéoniser Germaine Tillion ? tant mieux, le panthéon est un endroit sinistre et glacial. Il fait plus chaud dans nos coeurs.
Federmann 03/05/2008 13:31
Jacqueline Simon Tipanda 03/05/2008 22:36